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Palimpseste
articles et lettres de lecteur
de François Brutsch

Lui écrire

 

Le statu quo est la pire menace pour le fédéralisme suisse, qui doit prendre le risque d'évoluer de 26 cantons à 6 ou 7 régions. Version revue d'une prise de position personnelle, en qualité de membre fondateur de l'Union Vaud-Genève en 1998, publiée dans DP.
Pour un nouveau contrat fédéral
8 octobre 1999
Penser globalement - agir localement: les initiatives lancées dans les cantons de Vaud et Genève ont une ambition qui dépasse leur seul objet.

Les idées fortes jaillissent souvent de plusieurs sources à la fois; elles bousculent les clivages établis, obligeant chacune et chacun à se situer par rapport à elles; elles ont la limpidité de l'évidence, ce qui ne veut pas dire qu'elles sont simples ou faciles. Telle m'est apparue, en cette fin des années 90, la recomposition de la géographie politique du pays en germe dans le bassin lémanique, le nord-ouest ou la Suisse centrale.

Il faut partir du diagnostic dont ce pourrait être le remède: la Suisse, les cantons, Genève ou Vaud en particulier ne vont pas bien. Ce pays est un miracle socio-politique dont la réussite n'était pas évidente, et on aurait tort de le tenir pour acquis: il est toujours à recommencer. Dans les années 60 à 80, la République démocratique allemande paraissait le seul des pays de l'Est à fonctionner convenablement, le plus prospère et le mieux organisé: ce fut le premier à s'effondrer. Parfois je pense que la Suisse est la RDA des démocraties occidentales.

Si rien ne vient se substituer à l'effacement inexorable du rôle des cantons, dans un climat de méfiance grandissante à l'égard de l'Etat, synonyme de repli sur soi, et de polarisation des valeurs (de l'ultralibéralisme sauvage au protectionnisme social étouffant), c'est tout naturellement le clivage linguistique, pour ne pas dire ethnique, qui prendra le dessus. A un tel éclatement du pays, je préfère la rupture d'une transformation volontaire, en partant de la base, comme notre histoire en est riche. Le renouveau du fédéralisme de l'intérieur et vers l'extérieur, l'Europe, c'est l'échéance de notre génération.

Par le haut, cela fait bien 30 ans que la Suisse tente, en vain, de se réformer: révision totale de la Constitution fédérale (pas la "mise à jour" adoptée le 18 avril 1999, celle pensée dans l'optimisme des années 60 et 70), nouvelle répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (et autres conceptions globales), voire même, tout récemment, nouvelle péréquation financière entre la Confédération et les cantons, à l'ambition déjà limée. Dans les cantons, en revanche, nombre de révisions totales de la Constitution ont été menées à bien et avec succès. Mais leur force propulsive est désormais épuisée; car c'est bien l'entre-deux - le rapport des personnes à l'Etat (fédéral et cantonal), l'échelle intercantonale et le lien entre les cantons et la Confédération - qui pose aujourd'hui problème.

En guise de remède, on multiplie les instruments: aux consultations des cantons par la Confédération, aux concordats intercantonaux et aux conférences intercantonales de chefs de départements (au rôle toujours plus important), on a ajouté sous la pression des nécessités des conférences entre la Confédération et les cantons, pour en arriver à ce chef-d'œuvre d'entropie technocratique, la création d'une conférence des gouvernements cantonaux. Si un mille-feuilles réussi repose sur un équilibre subtil, la Suisse d'aujourd'hui illustre la surabondance d'une lourde crème intercantonale et intrafédérale qui noie la pâte feuilletée des cantons et dont émerge péniblement le goût sucré de l'Etat fédéral.

Pour renouveler le miracle suisse d'une Confédération multiculturelle, ses entités de base, les cantons, doivent s'adapter aux circonstances comme cela a été le cas dans le passé: Argovie ou Vaud sont des créations de Bonaparte, Genève est une cité qui n'est devenue canton que par triomphe de la diplomatie, le Jura s'est constitué par la lutte de sa population.

L'enjeu d'aujourd'hui, c'est de retrouver pour les citoyennes et les citoyens la structure collective, la région politique forte que les cantons ne sont plus, afin qu'elle joue son rôle propre dans la société, arbitre des choix collectifs et trame du tissu social, économique et culturel. Car si l'Etat cantonal est irrelevant pour les individus dans une société globalisée où il n'y a plus que la communauté locale informelle et l'Etat fédéral, alors c'est le facteur linguistique qui devient déterminant. C'en est alors fini de la Suisse comme mosaïque dont chaque pièce n'est qu'une partie du tout, sans majorité ni minorité. Et "les Romands" achèveront de se construire comme minorité, avec le double mouvement pervers de penser que tout leur est dû par la majorité qu'ils cristallisent par là et, pour celle-ci, que tous les problèmes viennent de la minorité.

Sombre perspective, que tout le monde n'est pas forcé de lire en filigrane des deux initiatives tendant à l'élection d'une assemblée constituante commune à Vaud et Genève en vue de la création d'un canton neuf pour cette région du pays. Le Valais s'y joindra-t-il? Certaines parties du canton de Vaud préféreront-elles se tourner vers une autre région et constituer un nouveau canton avec Berne-Neuchâtel-Fribourg? Il est dans la logique de tout mouvement politique de connaître un développement autonome. On ne peut même exclure que la démarche évolue en sens opposé de celui défendu ici, servant soudain de catalyseur à un mouvement centrifuge romand par constitution d'un seul super-canton. Mais le risque pris est moins grand que le risque subi.

Mon espérance est que Vaud-Genève donne un coup d'arrêt à la régression de ce bout du pays en village d'Astérix - en lui donnant un cadre et une ambition - et le coup d'envoi de la perestroïka dont la Suisse dans son ensemble a besoin. Avec des rapports renouvelés entre des Etats fédérés moins nombreux et mieux ancrés dans le réel et l'Etat fédéral, et un Conseil des Etats transformé en chambre du parlement dans laquelle s'expriment directement les gouvernements des Etats fédérés: une structure démocratique lisible et transparente pour un débat politique réhabilité. Réinventons l'idée suisse afin qu'elle se perpétue dans l'Europe d'aujourd'hui qu'elle a si longtemps préfigurée.

 

 


Dernière mise à jour: 13/03/01
François Brutsch - Genève - Suisse