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Palimpseste
articles et lettres de lecteur
de François Brutsch

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Tant la Confédération que les cantons perdent pied face à une technostructure intercantonale qui se renforce. Article paru dans DP.
Fédéralisme: l'entresol encombré
27 avril 2001
Dans la maison Suisse, entre le rez-de-chaussée des cantons et l'étage fédéral, il existe un entresol intercantonal où s'amoncelle un véritable bric-à-brac. Deux adjonctions récentes viennent alourdir l'édifice.

Dans l'esprit des pères fondateurs, les concordats devaient permettre à un groupe de cantons de régler de manière régionale un objet de leur compétence: un lac dont ils sont riverains, un pénitencier commun.

Une première perversion du système est apparue avec l'OICM, l'Office intercantonal de contrôle des médicaments. On constate le besoin d'une réglementation unifiée dans toute la Suisse pour homologuer les médicaments. Mais plutôt que d'en tirer la conclusion logique -- transférer la compétence en la matière des cantons vers la Confédération -- on établit une institution hors-sol par un concordat liant tous les cantons. Un pas de plus dans cette direction est d'ailleurs apparu récemment: c'est la Confédération elle-même qui, à propos des Universités, établit un concordat auquel elle entend voir les cantons adhérer.

Revitaliser les entités fédérées

De la manifestation d'une saine collaboration entre voisins complétant la claire répartition des tâches entre les cantons et la Confédération, on est subrepticement passé à un affaiblissement du fédéralisme: une technostructure sans la légitimité que procurent des organes élus au suffrage direct et les droits populaires se substitue à des cantons défaillants et à une Confédération qui ne peut ou ne veut assumer de nouveaux rôles. Cette réflexion est au coeur du projet qui vise à revitaliser les entités fédérées en substituant des régions plus grandes et moins nombreuses aux cantons (initiatives Vaud-Genève, notamment). Il existe une autre approche, défendue par André Gavillet dans un numéro spécial de DP, Du concordat au traité (no 1386 du 14 mai 1999). Dans l'intervalle, les extensions récentes du phénomène intercantonal ne sont guère encourageantes.

Des lois sans Parlement

L'Accord intercantonal sur l'élimination des entraves techniques au commerce est un concordat en cours de ratification dans les cantons. C'est un élément de l'ouverture récente de la Suisse intérieure à l'économie de marché (!) avec ce que cela suppose de transparence et de libre échange.

L'Accord est un enfant de la Conférence des gouvernements cantonaux (en elle-même une monstruosité juridico-politique); celle-ci se félicite d'être parvenue à empêcher la Confédération d'unifier elle-même le marché intérieur, prétendant préserver la compétence des cantons... en la confiant à une autorité intercantonale. Par rapport à l'OICM, la nouveauté est que l'on passe de l'administration au rang législatif: l'Accord incorpore pour le futur dans la législation cantonale, en remplacement de ce qui pourra s'y trouver, toutes les normes que l'autorité intercantonale adoptera ­- sans procédure parlementaire, sans référendum possible: l'organe de décision est formé d'un conseiller d'Etat par canton, chaque canton dispose d'une voix et les décisions sont prises à la majorité qualifiée de dix-huit voix. Si l'on ajoute que le partage des frais se fera en proportion de la population, sans considération d'autres critères tels que la capacité financière, on se dit que cette construction est bien fruste.

La loi intercantonale à options

Sous l'impulsion d'un Office fédéral imaginatif, une autre Conférence, celle des directeurs cantonaux de l'énergie, propose, elle, un modèle original: la législation unifiée. On avait connu les lois modèles (qui sont à la législation ce que les manuels Weka sont à la correspondance commerciale), voici la loi intercantonale à options: un module est obligatoire pour tous les cantons (il s'agit d'unifier les modalités d'application de la législation fédérale sur l'énergie, mais aussi de la compétence cantonale en matière de constructions qui demeure); d'autres modules sont à prendre ou à laisser, mais les cantons sont priés de renoncer à des particularismes qui n'ont, pratiquement et économiquement, guère de sens. Belle construction technocratique, mais on ne se fera pas d'illusion sur la capacité de ce Modèle de prescriptions énergétiques cantonales (MoPEC) à devenir réalité à travers la moulinette des vingt-six parlements cantonaux.

En attendant, dans un fédéralisme qui se fossilise au lieu de se renouveler, tant la Confédération que les cantons s'éloignent des lieux où la société fait sa vie.

 

 


Dernière mise à jour: 07.10.2003
François Brutsch - Genève - Suisse