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Terrorisme, guerre, mondialisation, démocratie...
Un choix de textes
pour garder les idées claires

Après le 11 sept. 01

 

Veton Surroi, rédacteur en chef et éditeur de Koha Ditore au Kosovo, Le Monde (15 février 2003)
Les tyrans ne tombent que sous les bombes

Si j'étais membre de l'opposition irakienne contre Saddam Hussein aujourd'hui, je ressentirais ce que j'ai ressenti il y a cinq ans en écoutant les arguments, émanant surtout des Européens, expliquant pourquoi il ne fallait pas utiliser la force militaire contre la Serbie de Slobodan Milosevic.

Les arguments sont similaires dans les deux cas. Dans les deux cas, ils sont devenus partie intégrante de la tactique pour gagner du temps avant les bombardements. La litanie est la suivante: "Il faut donner une chance à la paix." "Les bombes ne peuvent pas apporter la démocratie." "Une attaque militaire menacerait la stabilité de la région." "Les Etats-Unis utilisent la puissance militaire pour établir leur domination."

Tous ces arguments se sont révélés faux dans le cas du Kosovo.

Dans ce cas, le désir européen de gagner du temps n'a pas tenu longtemps. Milosevic n'a pas saisi la dernière chance d'un accord de paix lors des négociations de Rambouillet, et la France et l'Allemagne ont été contraintes de rejoindre l'alliance américano-britannique, très déterminée, pour faire cesser le génocide au Kosovo.

Bien que, grâce aux négociations parrainées par l'Europe, il y ait eu une chance de paix, Milosevic s'est servi de ces discussions pour consolider sa position au Kosovo. Finalement, seul le bombardement de la Serbie de Milosevic a arrêté le génocide des Kosovars, inversé le processus de nettoyage ethnique et permis le retour chez eux de près de 1 million de réfugiés.

Les bombes seules, naturellement, n'ont pas amené la démocratie, mais elles étaient une condition préalable: le Kosovo a eu l'occasion, pour la première fois dans son histoire, de mettre en place des institutions démocratiques. La débâcle qu'a apportée la pluie de bombes de l'OTAN sur la Serbie a été le début de la fin pour Milosevic. Aujourd'hui, la Serbie construit péniblement et patiemment un Etat démocratique.

Les Etats-Unis n'ont pas établi leur domination. En fait, ils ont plus ou moins laissé la zone sous la responsabilité de l'Union européenne et des Nations unies par le biais de leur protectorat au Kosovo.

Comment la situation d'alors est-elle comparable avec la période préparatoire qui précède une éventuelle guerre contre l'Irak? Les raisons majeures pour s'opposer à la guerre contre l'Irak ont changé au fil des semaines. D'abord, les principales autorités européennes ont insisté sur le fait qu'elles s'opposeraient à une action unilatérale américaine et demanderaient l'aval des Nations unies. Maintenant que la résolution 1441 du Conseil de sécurité, approuvée par les Européens, autorise de facto toute action nécessaire contre le régime de Saddam Hussein, elles soulèvent d'autres arguments allant de "il n'y a pas de preuves" à "on ne peut pas bombarder tous les régimes qu'on n'aime pas" ou "toute cette affaire revient au fait que l'Amérique veut avoir la mainmise sur les gisements de pétrole irakiens".

Mon expérience au Kosovo avec Milosevic laisse penser que l'argument devrait être retourné: quelqu'un espère-t-il avec réalisme que Saddam Hussein quittera le pouvoir de son plein gré ou par un processus électoral démocratique? S'il n'abandonne pas le pouvoir de l'une de ces deux manières, existe-t-il une autre façon d'arrêter le mal qu'il inflige, en particulier à son propre peuple? Saddam Hussein est un tyran et constitue une menace contre la loi humanitaire internationale, la stabilité de la région et la paix mondiale au même titre que Milosevic. Pourtant, alors que le boucher des Balkans est jugé pour crimes contre l'humanité à La Haye, on accorde le bénéfice du doute au tyran de Bagdad.

C'est là que la guerre entre en jeu. La plus terrible des activités humaines, la guerre, est sur le point de commencer. Si mon expérience peut servir de guide, cette guerre abattra malgré tout le régime de Saddam et créera les conditions d'une démocratie pour le peuple irakien. Saddam étant du même acabit que Milosevic, nous savons une chose sur eux: seule une pluie de bombes leur fera lâcher leur emprise sur le pouvoir.

Quand cela se sera produit, de nouvelles questions émergeront néanmoins. Qu'arrivera-t-il dans l'Irak de l'après-Saddam? Quelle sera la nature de l'autorité internationale ? Quel genre de transition vers la démocratie peut se faire dans un Irak souverain? Et comment ce genre d'autorité va-t-il affecter l'équilibre régional des Etats voisins qui ne sont pas des démocraties, mais des retombées de la fin de l'Empire ottoman ainsi que de la pax britannica?

Si j'étais membre de l'opposition irakienne, ou encore une partie concernée appartenant à l'Occident ou à la région, je commencerais alors à m'inquiéter. Au cours des derniers mois, un débat a eu lieu sur l'opportunité de faire la guerre contre Saddam. Il est désormais clos pour l'essentiel, car les forces présentes sur le théâtre des opérations ont atteint un point de non-retour.

Je sais par mon expérience au Kosovo que les lendemains arrivent beaucoup plus tôt qu'on ne les attend. L'opposition doit être prête à embrasser la cause pour laquelle la bataille a été gagnée.

Le monde doit se rappeler comment la guerre au Kosovo s'est déroulée et comment les peurs sans fondement qui inquiétaient tant les Européens ne se sont jamais matérialisées. Il doit tirer la leçon du cas Milosevic: il faut une puissance militaire pour renverser les tyrans lorsque tout, y compris les négociations ou les inspections, a échoué. Le changement ne viendra que lorsque les bombes commenceront à pleuvoir.

Traduit de l'anglais par Florence Lévy-Paoloni.

© 2003, Global Viewpoint. Distribué par Tribune Media Services International, section de Tribune Media Services.

 

 


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Dernière mise à jour: 15.02.2003

François Brutsch - Genève (Suisse) & London (UK)